"Moi, au moins, je vais pas aux putes": vos bonnes intentions ne nous aident pas

Publié le 6 Janvier 2016

Car je suis un mec bien.

Car je suis un mec bien.

Heureusement, dans la vie, il y a des mecs bien. Comme toi, là, qui a cliqué sur ce lien en te disant : « Ça, c'est bien vrai. C'est tout à fait moi ».

Toi, tu penses que baiser, c'est un truc pur, un truc beau, que jamais tu saliras quelque chose d'aussi fantastique avec des billets de banques trop dégoûtants. Toi, tu sais que le désir ça s'achète pas, qu'un orgasme n'a pas de prix.

Parce que toi, au moins, tu vas pas aux putes. Toi, au moins, t'est un mec gentil qui ne profite pas de la faiblesse d'une pauvre prostituée pour lui extorquer du sexe. Et puis, t'arrives à obtenir du sexe gratuitement, et c'est la preuve que tu peux pas être quelqu'un de foncièrement mauvais.

Parce que t'es pas un connard, toi. T'es pas un salaud de macho de base. Les mecs qui vont aux putes, c'est tous des connards de misogynes violents, et toi t'es pas un connard, t'es pas misogyne, encore moins violent.

Toi, tu veux prouver que les femmes sont tes égales, que jamais tu te rabaisseras à les payer pour les utiliser comme des sextoys. Toi, tu veux pas faire de torts aux prostituées. Tu veux que les prostituées, elles puissent arrêter de faire ce métier glauque, parce qu'elles souffrent vachement. Tu veux prouver que t'es de leur côté, du côté de ces femmes victimes et courageuse, pas du côté de ceux qui en abusent.

Tu veux nous aider, nous les putes, en fait, et ça c'est cool.

Sauf que voilà. En tant qu'escorte, quand tu cries à tue-tête que t'achèteras jamais mes services parce que t'es un mec bien, je suis pas sûre que ça m'aide. Mais bon, je sais. Moi, je suis pas « représentative » des putes, parce que je suis une pute privilégiée. Je suis pas comme « les autres ». Moi, c'est pas pareil.

Alors du coup, toi et moi, on va s'imaginer une pute représentative de toutes les putes. Mais si, tu vas voir, ça va être sympa.

Alors déjà, la pute représentative de toutes les putes, c'est une femme.

Tu sais qu'il n'y a pas que des femmes, qui sont putes, mais c'est pas grave, parce qu'on parle de la libération de la Fâme ici.

Donc c'est une femme. Elle est pauvre, elle est vraiment dans le besoin. Elle fait le trottoir, à peine habillée dans la rue, qu'il pleuve, vente ou neige. Donnons-lui un nom, pour la situer un peu, appelons-là « Povrette ».

Et donc Povrette, elle se prostitue pas par choix, mais alors pas du tout du tout du tout. Elle se prostitue QUE par besoin. Elle est mineure, mère célibataire de 15 enfants, sans-papiers, elle a plein de MST sans avoir accès aux soins, et un mac qui la frappe quand elle rapporte pas assez d'argent. Povrette, elle est grave dans la merde, tu vois ?

Tu la vois, là, Povrette ? T'arrives à te l'imaginer ? Mais si, t'y arrives. Je sais que t'as fait ça toute ta vie, t'imaginer que les putes s'appellent toutes Povrette.

Mais donc. Vu que toi, tu es un grand défenseur des putes, je t'imagine, là, arrivant devant Povrette, avec un air un peu beau-gosse à la Johnny Bravo et tel un héro, lui dire fièrement :

« Povrette, je ne te donnerai jamais mon argent. Je vais jamais te payer. Le jour où on couchera ensemble, ça sera gratuit, et ça sera parce que je verrai du désir dans tes yeux, et que nos corps vont s'enlacer de manière trop sensuelle dans la stratosphère. »

Et tu vois, là, je me dis, ben Povrette, elle va être trop super soulagée d'entendre ça. Elle va sûrement se dire, ah ENFIN un homme bien qui me propose de me baiser gratuitement, contrairement à tous ces connards de misogynes qui me proposent de me baiser contre de l'argent.

Je suis sûre que Povrette, ce dont elle aura le plus besoin, là, tout de suite, c'est d'une bonne partie de jambe en l'air gratuite avec toi. Je suis sûre que ça va grave la remettre d’aplomb et régler tous ses problèmes.

Mais bon, Povrette, tu la rencontreras pas. Ben oui, toi, t'es un mec bien. Toi, au moins, tu vas pas aux putes. Toi, au moins, tu fais rien.

Parce que t'es pas comme les clients de prostituées, comme ces mecs qui abusent trop, qui profitent, qui n'ont même pas honte de payer Povrette. T'es pas comme eux.

D'ailleurs, même si t'étais client, tu serais pas un client comme eux. Toi, si t'étais son client, ben tu respecterais Povrette. Tu discuterais pas ses prix, t'essaierais pas de la lui faire sans capote. Tu négocierais pas les prestations, puis si tu voyais qu'elle se sentais pas bien, ben t'arrêterais direct.

Toi, si t'étais le client de Povrette, vu que t'es un mec respectueux, ben tu respecterais son consentement et ses conditions. Tu la traiterais comme une vraie personne, et pas comme de la merde. Puis tu la harcèlerais pas, tu l'insulterais pas, t'essaierais de faire en sorte qu'elle se sente bien avec toi. Tu lui poserais pas de questions indiscrètes sur sa vie privée, t'essaierais pas non plus de lui faire dire absolument qu'elle fait ça par plaisir. T'essaierais pas de rassurer ton égo de mâle sur son dos. T'aurais pas besoin qu'elle se force à simuler pour te prouver à toi-même que t'as réussi à faire jouir une pute. Qu'avec toi, au moins, elle a aimé ça.

Si t'étais le client de Povrette, tu te permettrais jamais de critiquer sa personne, son physique ou sa manière de travailler. Parce que t'es un mec bien, toi.

Et du coup, tu répètes à tous les hommes que tu rencontre que ya que les tordus, les psychopates, les méchants, les frustrés, les salauds de machos qui vont aux putes.

Comme ça, tu pourras être sûr qu'aucun mec bien n'osera plus aller aux putes. Comme ça, tu feras en sorte que les seuls mecs qui oseront encore aller voir Povrette, c'est ceux qui ASSUMENT qu'ils sont des salauds de machos.

(Et je suis sûre que Povrette a super envie de se taper Eric Zemmour)

Ceux qui disent à haute voix que la femme est inférieure à l'homme. Qui trouveront ça normal, du coup, d'obtenir du sexe, qu'il soit payant ou non. Qui diront qu'ils ont droit à leur pute. Ceux qui s'en vanteront en mode « bout de viande », qui lui diront qu'elle est moche, qu'ils pourraient bien rester plus longtemps en payant moins, et qui n'en auront rien à foutre d'elle.

Et ça, Povrette, ça va grave super l'aider.

Ça va sûrement l'aider, que tu dises aux mecs qui veulent respecter notre consentement, qu'ils doivent surtout pas aller aux putes. Que le fait de sortir des billets et de les donner à Povrette, ben ça va direct les transformer en connard.

Tu fais bien, de déclamer que dans la prostitution, c'est pas possible de respecter le consentement. Comme ça, les mecs qui iront voir Povrette, ben ils en auront vraiment plus rien à foutre, de son consentement. Ils pourront se dire "bah vu que comme je la paie je la viole, ben c'est pas grave de la violer". Et du coup, ça, c'est bien.

Et puis quand elle comprendra que pour rencontrer des mecs bien, elle a qu'à arrêter, ben elle arrêtera. Ça sera aussi simple que ça.

Alors je sais que toi, t'es plein de bonnes intentions, de jolies théories sur l'égalité des genres, la libération de la fâme et toussa toussa. Mais je me dis, niveau stratégie, c'est quand même un peu bancal, ton histoire.

Alors bon, c'est vrai, je suis pas Povrette. Et des Povrettes, en effet, il y en a, et je peux pas savoir ce qu'elles vivent ni ce qu'elles ressentent. Mais peut-être que je le sais déjà un peu plus que toi.

Et je peux pas m'empêcher de penser que, Povrette, si au lieu de lui proposer du sexe gratuit avec ton courageux pénis de militant, tu lui proposais plutôt l'inverse, tu lui proposais plutôt du non-sexe rémunéré, ben peut-être que ça l'arrangerait mieux.

Parce que peut-être que si à chaque fois, au lieu de clamer haut et fort que t'étais un mec bien, t'avais donné à Povrette le prix d'une passe sans rien attendre d'elle en retour, ben peut-être que Povrette, tu vois, elle serait un peu moins dans la merde.

C'est bien cool de nous expliquer que tu ne loueras jamais nos services.

Mais en fait, là, quand tu déclames en mode héros du jour que « moi, au moins, je vais pas aux putes », en fait, t'es juste en train de faire briller ta médaille de mec bien.

Alors la prochaine fois que tu apprendras aux autres hommes qu'il est impossible de respecter le consentement d'unE travaileurSE du sexe, au moins, ne nous fais pas croire que c'est pour nous aider.

Et tu ne m'en voudras pas de ne pas t'applaudir quand tu exprimes tes grandes idées sur la libération de la Fâme… Quand tu fais en sorte que les mecs qui veulent bien me payer soient le plus possible des crevards, et quand tu dis que toi, tu n'accepterais de me baiser que gratos, ben je peux pas m'empêcher de penser que t'as une sacrée ressemblance avec tous ces fameux connards de clients misogynes dont tu veux tellement te différencier, quand tu dis "Moi, au moins, je vais pas aux putes".

Au lieu de te définir par ce que tu ne fais pas, si tu réfléchissais à ce que tu pourrais faire ? À ce qu'il reste à faire pour nous aider ?

Parce que je t'assures, ya pas mal de boulot pour lutter contre les stigmas sociaux, contre les violences policières, contre les violences sexuelles, pour nous donner le droit de vivre, de nous rassembler, de nous organiser. Pour améliorer nos conditions de travail, nos conditions sanitaires, nos conditions de vie, notre sécurité. Notre changement de métier pour celleux qui le désirent, aussi (et du même coup, lutter contre la discrimination à l'embauche). Des mesures juridiques contre la putophobie. Ou la garde de nos enfantEs. Ou le droit à la justice en cas de viol. Trouver des solutions contre la traite d'êtres humainEs. Régulariser les prostituéEs migrantEs pour les rendre moins vulnérables.

Vraiment, ya un sacré boulot dont le mec bien que tu es pourrait commencer à se charger.

Alors au lieu de dire que tu refuses de nous rencontrer, tu pourrais faire savoir autour de toi que tu t'en foutrais qu'on soit ta sœur, ta mère, ta femme, ta fille, ton amie. Que tu nous soutiendrais si c'était le cas.

Au lieu d'expliquer aux autres hommes que l'argent leur donne tous les droits, tu pourrais plutôt leur rappeler qu'il ne leur en donne aucun. Que malgré l'argent, il faut, et faudra toujours, respecter le consentement.

Au lieu de dire que payer une femme, c'est la violer, tu pourrais dire qu'il est interdit de violer qui que ce soit, même quand on le/la paie.

Au lieu de vouloir pénaliser les clients et leur demander de payer une amende à l'Etat, tu pourrais te demander où l'argent de cette amende serait le mieux placé.

Au lieu d'utiliser ton privilège d'homme pour faire des lois à notre place, tu pourrais nous écouter parler.

Parce que tu vois, même Povrette, même ta pire caricature de prostituée victime, en disant fièrement "Moi, au moins, je vais pas aux putes", ben en fait, tu l'aides pas.

---

Liens:

- Les droits des travailleurs et travailleuses du sexe sont des droits humains​ - Amnesty International

- Harcèlement policier à Belleville: témoignages - STRASS Syndicat du travail du sexe

- Prostituées nigérianes en France: et si on protégeait vraiment les victimes de la traite ? - Thierry Schaffauser

- La syndicalisation des travailleur-ses du sexe - Thierry Schaffauser

- Travailleur-se-s du sexe : l'État a un rôle majeur dans les violences que nous subissons - Morgane Merteuil

- L'effroyable assassinat de Jasmine Petite, victime de la putophobie - Ovidie

- Le travail du sexe contre le travail - Morgane Merteuil

- 17 revendications pour améliorer le sort des prostituées - Le guide social

- Migrant Sex Workers

- STRASS Syndicat du travail du sexe - Biblio

- Aspasie: prises de positions

Rédigé par Decade

Publié dans #Travail du sexe, #Militantisme, #Articles les plus partagés

Repost0
Commenter cet article
J
Personnellement je ne negocie jamais les prix.<br /> Je trouve ça irrespectueux et malpoli d'une part et j'ai toujours vu ça comme une règle qui valide le consentement sexuel. Negocier serait un abus pour ma part.<br /> La prostitution , c'est special, ce n'est pas comme une prestation de service ordinaire ou comme du marché au noir.
Répondre
C
A quoi on peut comparer la prostitution, dans le cadre d'une prestation de service ?
Répondre
D
Je crois qu'il est très délicat de comparer la vente de services sexuels à une autre prestation de service... Souvent on tombe dans des généralités: "c'est comme aller se faire masser", "c'est comme aller chez le psy",... En plus de partir du point de vue du client, ça renforce les clichés sur la prostitution: si on considère que c'est comme un massage par exemple, alors ça voudrait dire qu'utiliser son sexe c'est comme utiliser n'importe quelle autre partie de son corps - ce qui est loin d'être vrai pour touTEs les prostituéEs. Si on se dit que c'est comme aller chez le psy, ça renforce le mythe de la pute au grand cœur qui est trop généreuxSE humainement et raviE de booster l’ego de ses clients - et pareil, c'est loin d'être la réalité de touTEs les prostituéEs et ce cliché peut être insultant.<br /> Donc malheureusement je crois qu'il vaut mieux ne pas comparer la vente de services sexuels à d'autres prestations... Je dis "malheureusement", parce que je comprends bien que ça serait un raccourci explicatif assez pratique. Sauf que comparer fera forcément tomber dans l'un ou l'autre cliché, à mon avis
A
Un peu d'anonymat pour celle-là.<br /> Tu parles de discuter les tarifs. Cas réel, je suis à dam, je mate les vitrines, une fille sort, me dit "entre, entre, je vais te montrer un truc'. En bon voyeur, j'entre. Elle me dit "30 €, t'as tout pour moi" (Amsterdam, c'est 50 € normalement). je lui dis que j'ai que 10 € (c'est faux, mais je veux pas payer plus quoi qu'il arrive), elle me dit "non, non, 20 € t'as tout". Je lui dis non, m'en vais, elle me dit "OK pour 10 € pour une pipe".<br /> <br /> Au final, OK, j'ai maté et OK j'ai "négocié", mais je n'ai pas cette impression d'avoir abusé d'elle. De même, quand j'ai, un soir, raccompagné une prostituée chez elle (à sa demande) en échange d'une pipe, pareil, pas de culpabilisation de ma part. Pourtant, tout cela rentre dans la "négociation de tarifs", non ?<br /> <br /> Donc est-ce que la négociations de tarif est normale ? Dois-je "culpabiliser" d'avoir accepté ? Je ne trouve pas, mais maintenant, je me pose la question.<br /> <br /> Un client (normalement) honnête
Répondre
D
(mais lorsque c'est elle-même qui propose une prestation, même si c'est en échange d'un trajet en voiture, ben ce sont ses conditions - vu que c'est elle qui est venue avec cette idée. Donc pas de soucis - même si le pourboire reste cool, hein)
D
Bonjour, merci de ton commentaire qui risque de répondre à une question que beaucoup de clients se posent.<br /> Je ne connais pas la personne dont tu parles, touTEs les travailleurSEs du sexe sont différentEs et ont des conditions de travail différentes, des limites différentes, etc. Je ne peux donc pas parler à sa place.<br /> <br /> Cependant, d'après l'histoire que tu me racontes, il s'agit d'un abus de faiblesse, puisque le message que tu envoies à cette personne est "hey, il y en a plein d'autres ailleurs et de toutes façons j'ai pas l'argent, alors on va voir jusqu'à quel point tu es capable de faire des concession, de modifier tes conditions et d'accepter des choses qui dépassent tes limites au départ"<br /> <br /> Et puis négocier un rapport à 30€ - déjà extrêmement peu cher - c'est quoi le but? Pouvoir se vanter après d'avoir réussi à obtenir la pipe la plus cheap d'Amsterdam?...<br /> C'était peut-être un jeu pour toi, mais certainement pas pour cette personne...<br /> Comme tu as menti en disant que tu n'avais que 10€, je suppose qu'il s'agit d'un marchandage "pour le sport" (et pas par besoin). Et marchander uniquement pour s'amuser, ou pour le défi, quand c'est face à une personne plus faible économiquement/plus marginale/en position plus délicate et donc, qui sera moins en mesure de négocier (en l’occurrence, je suppose que pour baisser ses tarifs à ce point, cette personne avait vraiment besoin de cet argent), c'est de l'abus de faiblesse.<br /> <br /> Sinon, pour ce qui est de ma réalité, les clients essaient extrêmement souvent de négocier. C'est difficile de maintenir ses tarifs et ses limites quand on a l'impression de ne pas avoir le choix. Ne pas négocier, c'est du respect pour la personne qui travaille - et pour touTEs les travailleurSEs du sexe en fait, parce qu'à force de négocier en permanence on se retrouve à touTEs devoir faire des concessions. Et vendre du sexe au rabais, c'est vraiment pas un feeling cool du tout DU TOUT... (en tous cas pour moi)<br /> <br /> Et sinon, quand on veut être un client vraiment sympa, on file un pourboire :) (comme partout ailleurs en fait)<br /> <br /> Voilà, j'espère que j'ai répondu à ta question.
C
Je viens de tomber sur votre blog et je tenais à laisser un commentaire pour vous remercier de l'avoir entrepris. Il est vraiment très intéressant et enrichissant. Il m'a donné de nouveau à réfléchir sur ce sujet qui me touche et nécessairement me questionne, non seulement en tant qu'être humain mais aussi en tant que jeune femme. <br /> Bref, merci et bonne continuation. <br /> De tout coeur avec vous dans cette lutte idéologique et politique
Répondre