La pute amoureuse
Publié le 14 Décembre 2016
Quand j’ai commencé à être pute, je me suis douté que ça risquait de poser problème dans ma vie sentimentale. C’est pas un hasard si j’ai commencé à me prostituer alors que j’étais célibataire. Je savais que si je me prostituais pas LÀMAINTENANTOUTDESUITE, je risquais de retomber assez vite amoureuse et que la culpabilité m’empêcherait de sauter le pas.
J’étais sur internet depuis deux semaines quand mon ex est tombé par hasard sur mon profil (NDLR : big up, Karma). Il m’a mise en garde : sois en sûre, plus aucun mec ne voudra de toi. Déjà qu’avant t’étais une salope ben t’es pas en train d’améliorer ton cas.
Les mecs, ils sont comme ça, ils veulent pas que leur femelle se fasse toucher par d’autres gars. Tu verras, t’as intérêt à arrêter, sinon t’es destinée à finir seule avec ta chatte.
Sans surprise, je suis assez vite retombée amoureuse. Et j’ai gardé mon métier secret, j’ai commencé à mentir – pas qu’à lui, d’ailleurs – parce que le stigma de pute, je me sentais pas de l’assumer.
J’ai vu comment réagissaient mes collègue. Une ex-pute m’a dit avoir arrêté en partie à cause de ça… Parce que devoir choisir entre mentir et avoir une vie amoureuse incroyablement compliquée, c’est comme devoir choisir entre la peste et le choléra. C’est plus simple de tout arrêter, parce qu’être pute et avoir une vie sentimentale, c’est contradictoire, c’est comme ça.
Les clients me demandaient parfois si j’étais en couple et quand je leur expliquais ma situation (j’aime quelqu’un et quelqu’un m’aime) ils ne comprenaient pas. « Si t’étais amoureuse, VRAIMENT amoureuse, t’aurais plus envie de coucher ailleurs », ils me disaient, alors qu’ils trompaient leur femme avec moi. « Un jour, tu tomberas VRAIMENT amoureuse POUR DE VRAI et tu verras, tu auras envie d’arrêter ce métier ».
Ils avaient le même regard que les gens à qui j’expliquais que « pour moi, le couple, c’est terminé » ou « j’aurai jamais d’enfantEs ». Le regard de ho comme t’es chou, c’est trop mignon d’avoir une opinion. Mais t’es jeune, tu verras, un jour, tu changeras d’avis, tu verras que j’ai raison.
Être une femme à poil sur internet c’est comme être sur la bande d’arrêt d’urgence de l’autoroute : ta durée de vie est limitée.
Et un beau jour, je me suis fait outer. Je me suis fait tirer de force hors de mon placard par des gens qui, apparemment, on trouvé ça plutôt cool de se passer mon profil et de raconter à toutE le monde que je fais pute comme métier.
Je me suis fait outer parce que c’est normal, v’voyez, quand on est à poil sur internet avec des prix à côté, que des gens viennent faire du voyeurisme sur votre profil et fassent tourner l’info (chacun ses hobbys, vous me direz). Finalement hein, c’est un comportement tout à fait normal d’utiliser la sexualité d’une femme comme une arme contre elle.
Alors que pute, c’est pas un comportement normal.
Donc j’ai bien dû finir par « assumer ». Je suis passée de la case « mentir » à la case « avoir une vie amoureuse incroyablement compliquée ». De la peste au choléra, quoi.
Au début, je me suis dit que je m’en sortais plutôt bien, parce qu’il ne m’a pas claqué la porte au nez en me traitant de salope de menteuse. Il est resté, il a essayé de comprendre, il a accepté.
Et puis les emmerdes ont doucement commencé. Parce que les gens disaient qu’il est quand même vraiment sympa « d’accepter ». Le fait que la meuf que tu fréquentes se fasse payer pour coucher avec d’autres gars, c’est un truc qui « s’accepte » et c’est pas donné à tout le monde. Faut comprendre. C’est compliqué, comme situation, quand même.
Ben oui, je suis une meuf compliquée. Ma vie est compliquée, ma sexualité est compliquée. Alors que tout pourrait être beaucoup plus simple ! Si seulement j’étais pas pute, tout serait plus simple, voyons.
Genre, ça serait tellement simple de gagner dix fois moins. D’avoir beaucoup moins de temps libre, de me faire chier dans un boulot que j’aime pas pour gagner trois cacahuètes. De sacrifier un salaire confortable sur l’autel de l’amoûûûûûûr.
Ça serait tellement simple de coucher qu’avec une seule personne, aussi. De comprendre que quand tu fréquentes quelqu’unE amoureusement, iel a un droit de regard sur ton corps. Ce serait tellement simple d’arrêter de vivre la vie qui me plaît dans le seul but de soulager sa jalousie d’homme blessé.
Ça serait tellement simple de faire comme ces milliers de femmes avant moi : sacrifier ma vie professionnelle au profit de ma vie privée. Tellement facile de sacrifier ma sexualité, mon indépendance, mon salaire, ma liberté. D’arrêter les conneries. De ranger l’escorting dans un carton marqué « erreurs de jeunesse » et de faire comme toutE le monde.
Marie-Madeleine, la rédemption est à ta portée. Fais un petit effort, voyons. Pour pouvoir être aimée, t’as qu’à être moins toi-même. Fais des concessions.
Ou alors accepte que personne veuille de toi. Parce que c’est la vie, c’est comme ça, y’avait qu’à pas vouloir être pute.
Y’avait qu’à pas.