Prostitution et idées reçues
Publié le 28 Septembre 2016
J'ai décidé de faire une petite liste des idées reçues que j’entends le plus souvent sur la prostitution. C'est parti.
1. Le plus dur, c’est le sexe
Parfois, oui. Souvent, non. ChacunE d’entre nous vit ce métier différemment mais bien souvent, le plus dur n’est pas le sexe en lui-même, mais la putophobie ambiante qui se répercute dans tous les domaines de nos vies.
La putophobie, c’est la peur ou l’aversion des travailleurSEs du sexe et l’ensemble des clichés et préjugés sur les TDS (l’abréviation TDS = TravailleurSE Du Sexe).
Elle a des conséquences sur à peu près tout, allant de nos vies privées et vies sentimentales (nous sommes souvent amenéEs soit à mentir à nos conjointEs et amiEs, soit à faire face à tout un tas de difficultés) à notre accueil en milieu médical (où les médecins semblent penser que tous les problèmes de toute ta vie sont forcément liés à ton métier) en passant, bien sûr, par nos conditions de travail.
Comme le travail du sexe est très mal accepté par une société hypocrite qui nous considère soit comme des victimes à sauver, soit comme des salopes devant « assumer » les conséquences de nos actes, beaucoup d’entre nous vivent dans le secret, ce qui entraîne pas mal de complications. Devoir mentir à tout le monde y compris à son entourage proche, et du coup, avoir très peu de moyens de réagir en cas d’abus de la part des clients, ou d’exploitation dans les agences et salons (car comment porter plainte ou s’organiser en syndicat lorsqu’on doit garder son métier secret ?)
Celleux d’entre nous qui travaillent dans la rue se font souvent insulter ou regarder comme des bêtes curieuses par les passants (et harceler par la police). Et puis vu que voir des prostituéEs dans les rues, ça fait désordre, certainEs d’entre nous se font chasser des villes et se retrouvent à devoir bosser la nuit dans un bois, dans des conditions où, comme le dit Virginie Despentes, « même vendre du pain serait un métier à risque ».
Dans la plupart des pays, rien n’est mis en place pour améliorer nos conditions de travail et notre sécurité. La pénalisation du client n’aide personne, au cas où, et cette loi a des conséquences désastreuses sur notre santé.
Cette loi, censée lutter contre le proxénétisme, empêche les TDS de louer un appartement légalement ou même de s’entraider (puisque cela est considéré comme du proxénétisme et donc interdit), ainsi que de travailler en agence ou en salon. Cette loi oblige donc les TDS à bosser seulEs, avec tous les risques que comportent le fait d’exercer ce métier dans le secret et en solitaire (personne ne sait où tu es ni avec qui, tu ne peux pas être sûrE que le client sera réglo, personne ne veille à ta sécurité, etc).
Si le discours ambiant veut nous faire croire que les clients sont les seuls responsables des violences faites aux prostituéEs, il a tendance à oublier les ravages provoqués par les violences d’État et ses lois qui servent surtout à se donner bonne conscience, mais sont au mieux inutiles, au pire nuisible pour les TDS.
ToutE le monde focalise sur le sexe, olala ça doit être si difficile de se taper des mecs qui te plaisent pas (je soupçonne un côté voyeuriste là-dedans). Alors que, si le plus dur est parfois le sexe en lui-même, souvent, c’est plutôt tout ce qui entoure le travail du sexe : le secret, la honte, la stigmatisation, le rejet, les lois inadaptées à notre réalité.
2. Les putes doivent se taper des clients à la chaîne
En fait, non, c’est souvent plutôt l’inverse : les prostituéEs n’ont généralement pas assez de clients. Que ce soit dans la rue, sur internet, en salon ou en agence, j’entends mes collègues se plaindre à peu près toujours de la même chose : « J’ai pas assez de clients ! Mais où sont passés les clients, bordel ? »
Dans la majorité des cas, les prostituéEs passent donc le plus clair de leur temps à attendre et à racoler.
Surtout que parmi les potentiels clients qui nous sollicitent, il y a un sacré travail de tri à faire. La plupart des TDS refusent des potentiels clients plus souvent qu’iels ne les acceptent – soit parce que ces potentiels clients ne sont pas respectueux dans leurs échanges, soit parce qu’ils veulent négocier les prix, soit parce qu’ils souhaitent des pratiques que nous ne faisons pas, soit parce qu’ils ne rentrent pas dans les critères des clients que nous acceptons pour raison xy.
Ça fait beaucoup de boulot passé à répondre au téléphone, à chatter, à échanger des mails ou à attendre, pour finalement peu de rendez-vous bookés – en tous cas, trop peu que pour se taper des clients à la chaîne.
3. Il y a deux sortes de prostitutions : par besoin et par plaisir
Même le/la TDS qui a bien assez de moyens et fait ce métier pour avoir de l’argent de poche le fait, justement, parce que ça lui rapporte de l’argent de poche. A l’inverse, touTEs les gens qui se retrouvent en profonde détresse financière ne choisissent pas pour autant d’exercer le travail du sexe. CertainEs choisissent de se débrouiller autrement, même dans la plus galère des galères.
Ce clivage choix/besoin renforce les clichés sur les TDS. On va dire de le/la TDS qui exerce « par choix » que c’est unE pute au grand cœur, qui prend du plaisir, aime ce qu’iel fait, limite on est d’utilité publique et grâce à nous il y a moins de viol et toussa toussa. Et on va dire du/la TDS qui exerce « par besoin » qu’iel se fait violer à répétition, que c’est horrible, que ses clients sont des monstres, qu’il faut le/la sauver, et du même coup on va l’infantiliser et lui retirer toute capacité de prise de décision.
Ce clivage choix/besoin nous fait du tort. Parce qu’on va dire d’unE TDS qui exerce ce métier « par choix » qu’iel mérite d’être rejetéE par la société parce que, bah, si iel est pas contentE, iel a qu’à faire autre chose. Et on va dire d’unE TDS qui exerce « par besoin » qu’il faut absolument le/la sortir de ce métier glauque et lui trouver un métier « respectable » (genre, moins bien payé et avec des conditions de travail tout aussi mauvaises – mais au moins, sois heureuxSE, tu vends pas ton corps ouf on est sauvéEs, tu exerces un métier DIGNE).
Or, par définition, la prostitution, c’est un travail. Le travail est toujours à la fois un choix et un besoin. Rien n’est tout blanc ou tout noir. Dans la société capitaliste dans laquelle on vit, il faut bien bosser pour survivre. Nous choisissons touTEs notre travail avec une liberté de prise de décision plus ou moins grande.
4. Dans la prostitution « de luxe », les conditions sont meilleures
Il y a cette idée qu’être escorte dite « de luxe », c’est avoir la vie plus facile qu’être unE prostituéE qui pratique des tarifs bas.
Je connais des travailleurSEs du sexe qui bossent dans la rue et en sont super satisfaitEs. Et je connais des meufs qui bossent en agence « de luxe » et se font complètement exploiter (qui se font par exemple appeler à 4h du mat’ pour rejoindre un client bourré chez lui dans la demie-heure, se font engueuler dès qu’elles refusent un rendez-vous, voire « punir » par l’agence qui les prive de rendez-vous pendant 2-3 semaines histoire qu’elles n’osent plus refuser la fois suivante).
CertainEs TDS préfèrent avoir le temps de discuter avec leurs clients (ce qui est souvent le cas dans la prostitution dite de luxe, puisque les clients attendent en général une Girlfriend/Boyfriend Experience), d’autres trouvent ça franchement relou et préfèrent largement passer 15 minutes à sucer un gars et après zou il se barre et l’affaire est classée et au suivant.
Dans l’escorting de luxe, les tarifs sont plus élevés mais cela peut jouer contre nous : quand on te propose 1000€ pour baiser sans capote, ça peut potentiellement être plus difficile de dire non que quand on t’en propose 50. D’autant plus que pour beaucoup de clients, « Girlfriend/Boyfriend Expérience » = fellation non-protégée. Se la jouer petitE amiE c’est souvent synonyme de prises de risques au niveau de notre santé (surtout dans les agences de luxe où très peu de TDS pratiquent la fellation protégée… c’est très difficile, dans ce cas, de l’imposer au client).
5. Les directeurRICEs de salons et d’agences sont des gros pimps de connards de maquereauxLLEs
En réalité, iels sont surtout là pour faire le boulot chiant à notre place. Ce que j’appelle « boulot chiant », c’est :
- être disponible le plus clair de son temps pour répondre aux clients ou pour les accueillir
- trier les mails et répondre au téléphone
- mettre les clients en relation avec les travailleurSEs du sexe
- envoyer chier les crevards qui insultent, négocient, veulent des rapports non protégés etc
- obtenir l’identité du client, son adresse ou le numéro de sa chambre d’hôtel
- garder l’identité des TDS secrète
- veiller à la sécurité des TDS grâce notamment à une liste noire de clients (tous ceux qui n’ont pas été respectueux envers unE des prostituéEs ou escortEs de l’agence/ du salon) et vérifier à la fin de chaque rendez-vous que tout s’est bien passé.
Ce boulot, les agentEs et directeurICEs de salon l’exercent plus ou moins bien. CertainEs veulent surtout faire du profit au détriment des droits du travail de leurs employéEs et les exploitent. D’autres sont plus attentifVEs au bien-être des prostituéEs qui font appel à elleux. Mais leur boulot, en théorie, est surtout de nous fournir un cadre pour exercer notre travail à NOS conditions, de la manière qui NOUS convient, en évitant de devoir négocier nous-même les tarifs et faire le tri dans les clients.
Après… entre la théorie et la pratique, il y a parfois un gouffre (surtout vu les pourcentages hallucinants que certaines agences et salons prennent sur le prix de la passe - sachant que si la loi les autorise à prendre un pourcentage élevé, ben forcément, pourquoi ne s'y autoriseraient-iels pas?). Et lorsqu’on se fait exploiter en salon ou en agence, les tabous qui entourent ce métier font en sorte que ça peut être très compliqué de protester.
L'idéal serait évidemment que les TDS ne soient pas dépendantEs de ces structures pour pouvoir veiller à leur sécurité et travailler dans des conditions qui leur conviennent. Que nous n'ayons pas à choisir entre "travailler seulE" et "travailler pour une grosse agence". Qu'il soit légal et simple pour nous de nous organiser en petites structures auto-gérées afin de ne pas devoir travailler pour des patronNEs qui se font de l'argent sur notre dos.
A quand des lois adaptées?... A quand une législation qui encourage les coopératives et décourage les grosses structures?
On en revient au point un : le plus dur, souvent, n’est pas le travail du sexe en lui-même mais les conditions dans lesquelles nous sommes parfois obligéEs de l’exercer. Dans une société où les travailleurSEs du sexe ne seraient pas obligéEs de se cacher, nous aurions plus de moyens pour imposer des conditions de travail qui nous conviennent…
6. Les putes doivent réaliser plein de fantasmes pervers de clients chelous qui paient pour avoir du pouvoir
Honnêtement, ce que demandent les clients dans leur immense majorité, c’est des ultra-basiques. Rien de bien folichon. En général, la combo fellation-cunni-pénétration vaginale-éventuellement sodomie. Et bien sûr, le french kiss.
C’est plutôt très rare quand un client demande quelque chose en-dehors de ces pratiques – et quand c’est le cas, c’est en général parce qu’il souhaite se faire dominer (donc : les gars paient pour se faire attacher/humilier/fouetter/prendre avec un gode-ceinture/insulter etc). On est donc loin du cliché de la pute qui « vend son corps », c’est-à-dire qui met son corps à la disposition du client.
A titre personnel, mes clients ont rarement des demandes spécifiques (genre : je veux faire telle et telle position et puis telle et telle pratique). J’arrive, et puis on voit ce qui se passe, ce qui nous fait plaisir, ce qui nous convient à tous les deux.
Lorsque j’ai annoncé à certainEs personnes de mon entourage ce que je faisais, un ami m’a demandé « mais… du coup... Tu arrives, et après ils font ce qu’ils veulent de toi ? »
C’était tellement loin de ma réalité que je n’ai même pas su quoi répondre. Par où commencer.
Non, ils ne font pas « ce qu’ils veulent de moi ». Nous faisons du sexe, tous les deux, selon mes conditions et en respectant mes limites et mon consentement.
Les clients ne paient pas parce qu’ils kiffent payer. Ils veulent surtout baiser/passer du temps avec nous, même si pour ça il faut payer. Si ils aimaient payer tant que ça, ils ne seraient pas si nombreux à essayer de négocier nos prix (d’ailleurs, des fois, je me demande si les clients qui essaient de négocier mes prix le font vraiment parce qu’ils veulent payer moins cher ou si ils essaient juste de s’auto-convaincre que je coucherais avec eux juste par plaisir, même si ils ne me payaient pas).
7. Il y a un « genre de mec » qui fait appel à nous
La question qu’on me pose le plus souvent jusqu’à présent, c’est « quel genre d’hommes font appel à moi ».
Bon. De part mon expérience personnelle, je dirais :
- le genre d’homme que vos amies, sœurs et mères épousent ;
- le genre d’hommes qui sont vos potes, ou les potes de vos potes ;
- le genre d’hommes qui sont célibataire et le genre d’hommes qui sont en couple ;
- le genre d’homme qui veut du sexe et le genre d’homme qui veut de l’affection ;
- le genre d’homme qui n’a pas trop de succès avec les femmes, et le genre d’homme qui a plein de succès avec les femmes ;
- le genre d’homme moche, beau, jeune, vieux, mince, gros, grand, petit ;
- le genre d’homme un peu timide et le genre d’homme extraverti ;
- le genre d’homme qui t’a choisiE parce qu’il a bien aimé la photo de ton cul et le genre d’homme qui t’a choisiE parce que t’as mis dans ton profil que tu aimais le cinéma d’auteur ;
- le genre d’homme qui veut juste te donner du plaisir et le genre d’homme qui veut juste en prendre ;
- le genre d’homme qui te traite comme une déesse et le genre d’homme qui te traite comme un objet ;
- le genre d’homme qui veut parler et le genre d’homme qui veut baiser ;
- le genre d’homme qui se remet d’une rupture difficile et le genre d’homme qui t’explique à quel point sa femme est géniale ;
En bref : le genre d’homme qui n’est ni pire, ni meilleur que tous les autres genres d’hommes.
8. Il y a un « genre de personnes » qui exerce le travail du sexe
Pauvres victimes, abusées dans leur enfance, en profonde détresse financière. Ou alors connasses vénales, paresseuxSES matérialistes qui aiment les Louboutins.
Les clichés sur les travailleurSEs du sexe ne manquent pas. Je crois que ça arrangerait pas mal de gens de penser qu’on est un « genre de personnes », qu’il n’y a que certaines personnes très bizarres, ou très en détresse, ou très vénales, ou très perverses qui exercent ce métier.
Désolée de vous décevoir, mais non : on est des genTEs comme tout le monde. TouTEs uniques, avec des parcours différents, des raisons différentes, des envies différentes. Il y a autant de raisons d’exercer le travail du sexe que de personnes qui l’exercent.
Penser qu’on est un genre de personnes, c’est de la putophobie, c’est vouloir nous enfermer dans des cases, vouloir nous considérer comme des genTEs « à part », des marginauLEs. Se dire qu’on est « différentEs », « pas normauxLES ».
En fait, c’est vouloir se dire qu’on est surtout pas comme vous. Alors, au lieu de nous juger, au lieu de vouloir nous sauver, peut-être faudrait il plutôt lutter contre vos propres préjugés.
A bon entendeur, salut.