Le sexe est un travail
Publié le 17 Septembre 2015
Mais non, voyons, le sexe n'est pas un travail ! Le sexe, c'est instinctif, c'est une pulsion, c'est du plaisir. C'est beau, le sexe, c'est comme l'amour, ça peut pas s'acheter.
Mouais.
Alors comme ça le sexe n'est pas un travail ? Même quand on nous bassine avec le fait que la pipe, c'est le ciment du couple, que baiser souvent, c'est bien et même que c'est bon pour la santé ? Même quand on est envahiE d'injonctions pour faire plus dur, plus fort, plus souvent, plus longtemps, plus, plus, plus ? Quand on nous rabâche les oreilles avec les trois-rapports-par-semaine-moyenne-française, qu'on nous encourage à avoir une sexualité régulière, aussi rythmée qu'un métronome, aussi rituelle et obligatoire qu'un brossage de dents ?
Bon, bien sûr, le problème c'est les femmes. Elles aiment moins le sexe que les hommes. C'est pour ça que la plupart des prostituéEs sont des femmes, c'est parce que les hommes ont des besoins, ils sont comme ça les hommes, ils veulent tout le temps du sexe.
Nous les femmes, on est défectueuses sexuellement, comme une vieille moto un peu rouillée qui ne démarre qu'une fois sur deux. On est « sexuellement hypoactives ». Le manque de libido chez les femmes, c'est une maladie et ça se soigne.
Alors quand tu aimes le sexe, tu fais grimper les enchères sur le marché de la bonne meuf. Finalement c'est pas ça la femme parfaite ? Une princesse en public, éternellement jeune et plus jolie que les autres ; une maman dans le privé, qui te fait ta bouffe et ton ménage ; et bien sûr, une pute au lit, une grosse salope – mais qui n'a de plaisir qu'avec son « chéri », comme nous le disent les magazine féminins, qui partent du principe que t'es forcément hétéro et en couple – ou que tu veux l'être.
On demande aux femmes « respectables » de faire les prostituées. Il faut porter de la lingerie sexy, des talons, du maquillage ; « pimenter sa sexualité » en couchant dans des voitures, des hôtels, des lieux publics. Il faut faire comme dans le porno, être une vraie travailleuse du sexe. Faire les position « qui vous rendent belle » (cambrée et souriante, sans rides, sans graisse, sans ventre, sans hanches, sans poils, lisse et pâle comme du marbre). Tailler des pipes. Avaler. Et bon, tu as le droit de serrer les fesses un moment, mais il faudra bien que tu testes la sodomie, hein, Anal is the new Black.
Il faudra faire l'amour souvent, même quand t'es enceinte, même quand tu viens d'accoucher, même quand t'es fatiguée, t'as pas d'excuses. Il faudra entretenir ta sexualité, pilier de ton couple, témoin de tes dysfonctionnements.
Parce qu'une bonne pute c'est une pute qui aime ça. Ben oui, une pute qui n'aime pas ça, ça se voit, puis c'est pas excitant. Il faudrait au moins qu'elle fasse semblant, hein, c'est pour ça qu'on paie, non ? Et si elle aime pas ça, elle a qu'à arrêter, non ?
Alors il faut avoir du plaisir, parce que c'est excitant pour l'autre – pour l'homme. T'es une femme, faut avoir des orgasmes, beaucoup, souvent, puis si t'en as pas faut t'exercer. On te conseille de te masturber, on te dit que le vibro c'est cool pour apprendre – mais attention, hein, faudrait pas s'y habituer quand même, histoire de ne pas voler à notre mâle bien-aimé le plaisir de nous faire jouir avec son sexe. Ou sa langue, ou ses doigts, même si son sexe ça reste le must, hein. Imagine, comment ça va lui flatter l'égo, de te voir trembler dans tous les sens avec les yeux qui vrillent. Tout ça grâce à lui. Dans le pire des cas, tu simuleras.
Et puis bon, des fois, c'est vrai qu'on n'a pas envie, mais un petit coup de pied au cul et après, c'est bon quand même, n'est-ce pas que c'est bon quand même ?
Quand tu n'aimes pas, tu n'oses même pas le dire. Je me rappelle d'une fille qui m'avait dit « KOOOÂÂÂ ? T'as jamais eu d'orgasme vaginâââl ? Mais c'est tellement meilleur que l'orgasme clitoridien ! » avec un air entre la fierté et le mépris, genre « ma pauvre, ta vie a l'air tellement nulle comparée à la mienne ».
T'as peur de passer pour une coincée, une frigide, une mal baisée. Alors tu souris, et tu déclame que oui, le sexe avec chéri, oh oui, c'est vraiment trop trop trop bon. Même aux autres femmes… Pendant qu'une part de toi s'inquiète… Vraiment ? Elles aiment toutes ça ? Est-ce que je suis normale ? Est-ce qu'il ne me manquerait pas 2-3 clitoris ultra-sensibles sur le corps ?
T'es une femme, il faut que tu aimes le sexe avec ton mec. Que tu te forces à aimer le sexe. Que tu travailles à aimer le sexe. Parce que si t'aimes pas le sexe, ben, c'est pas très bandant pour ton partenaire. Et c'est la preuve que tu ne l'aime plus, même… Quand on aime, on a envie de sexe. Quand on n'a pas envie de sexe, c'est qu'on n'aime plus. C'est comme ça, c'est écrit dans le Grand Mode d'Emploi des Couples édition 2015.
Et puis, quand ton partenaire t'a juré fidélité, ben faut bien que tu remplisses ton rôle de pute, si tu veux pas qu'il aille voir ailleurs. Ils ont des besoins, les mecs, faut bien s'y coller.
Quand t'es un mec, il faut être performant, faire jouir plus vite, plus fort, plus souvent. Tenir plus longtemps. Avoir une érection thermo-résistante ultra atomique. Mais c'est pas pour elle, c'est pour toi. Parce que plus elle aime ce que tu lui fais, plus elle voudra coucher avec toi. Pour qu'elle te fasse plaisir, il faut bien qu'elle-même y trouve un peu de plaisir, et ça, c'est ton boulot.
Si ça ne marche pas, tu as le droit de râler. Que nan mais ho, ça fait 20 minutes que tu lui fais un cunni, si elle a pas joui tu peux pas non plus faire sortir des paillettes de sa chatte. Parce que si tu as assez travaillé à son plaisir et que malgré tout elle n'en a pas pris, c'est pas grave, t'es réglo quand même, t'as fait ton taf. C'est pas ta faute si elle est peine-à-jouir. Elle avait qu'à jouir. Tu as bien travaillé, tu as le droit d'exiger qu'elle en fasse autant. Allez. Et cette petite pipe que tu m'avais promise, hein ?
Par contre, pour les mecs dont c'est la copine qui veut le plus de sexe, tu ne te poses même pas la question. Il faut baiser, point, t'es un mec, tu baises et t'aimes ça, même que tu en as tout le temps envie. Petit veinard va, t'es même pas obligé d'insister pour obtenir du sexe ! Imagine comment tu vas frimer auprès des copains.
Et quand elle râle parce qu'elle veut baiser alors que toi, tu as juste envie de dormir, ben tu t'exécutes. Tu fais ton boulot d'homme, tu la baises. Tu discutes pas, tu ramasses ton érection. Et ton sentiment de malaise, tu le ravales.
Après c'est sûr que se forcer quand on est un homme, psychologiquement c'est pas le top, mais physiquement, c'est pas vraiment pareil que quand on est une femme. Déjà parce que quand tu es une femme, la pénétration dans tes orifices, c'est un peu le b.a.-ba de ce que tu es censée offrir. Et être pénétréE, contrairement à pénétrer, ça peut faire mal. Voire très mal. Mais c'est pas grave, tartine-toi de lubrifiant, mets toi un coup de spray à la lidocaïne au fond de la gorge, étale toi du gel anesthésiant sur l'anus.
Fais comme les pros. Tu finiras par aimer ça.
Mais fais-le gratuitement, parce que payer du sexe, ça se fait pas. Ont traite les femmes comme des putes, mais il ne faudrait surtout pas qu'elles se mettent à y gagner de l'argent, elles risqueraient de devenir beaucoup trop indépendantes.
Ben oui, si tu utilises le sexe pour gagner de l'argent, du pouvoir ou de la reconnaissance sociale, alors t'es une pute, une salope, une attention whore. Faudrait surtout pas que le sexe nous aide à améliorer nos conditions de vie ou à nous émanciper. Faut pas être une coincée, mais faut pas non plus être une pute.
Alors on dit aux femmes que le sexe, c'est que du plaisir, que du désir, que du beau, de l'osmose entre deux personnes tout ça tout ça. Un orgasme, ça n'a pas de prix, sauf peut-être celui de ta mâchoire qui fait mal, de ta crampe au poignet, de ton sexe irrité, de ton anus qui va piquer pendant deux jours. Mais tu l'as fait par amour, alors ça va. T'aimes ça. Comme quand tu repasses les chemises de ton mec, c'est de l'amour quoi, c'est pas du travail.
Ben oui, t'es pas non plus une femme de ménage. C'est les autres qui sont des femmes de ménage, ces femmes qui passent leur temps à nettoyer la saleté des autres pour de l'argent. Quand tu récures les chiottes, au moins, c'est pas ton boulot. T'es pas non plus éboueurSE, même quand tu descends les poubelles qui te jutent sur les chaussures. T'es pas nounou, même quand tu es la seule à changer les couches de ton gosse. Au moins, c'est ton gosse.
Et quand tu t'allonges en pensant à l'Angleterre, ou à n'importe quoi d'autre, à part à ce que t'es en train de faire, t'es pas une pute, toi, au moins. Tu te fais pas payer pour ça, contrairement à « ces pauvres filles » obligées de coucher quand elles n'en ont pas envie.
Toi, au moins, il n'y a qu'un seul mec avec qui tu couches quand tu n'as pas envie. Qu'un seul chiotte que tu récures. Qu'un seul gosse que tu changes.
Alors là tu t'énerves, tu te dis que je te traite de pute qui bosse gratos. Et si c'était pas une insulte ? C'est quoi, qui est insultant, dans le fait d'être unE travailleurSE du sexe ?
Ah oui, pardon, le sexe c'est pas un travail, ça peut pas être un travail, c'est beaucoup trop pragmatique comme vision des choses. C'est pas assez glamour, pas assez sexy, pas assez rose bonbon. Le rapport marchand, ça le fait pas, ça brise le fantasme, ça ramène à la réalité. Comme le petit accident pendant la sodomie, à ce propos, n'oublie pas de faire ton lavement pour ne pas en mettre partout, et rappeler à ton mec que oui, des fois, ça arrive, tu fais caca par là. Faudrait pas casser le mythe.
C'est ça qui est insultant, en fait. Se dire que des fois, le sexe, on le fait par devoir, ou on l'exige de la part de quelqu'un d'autre comme si c'était un devoir. Se dire que notre consentement, dans une société où il n'y a pas grand-chose de plus cool que d'avoir plein de sexe torride (ou de sous-entendre qu'on en a), il n'est peut-être pas beaucoup plus éclairé que quand on nous donne de l'argent en échange.
Oublier qu'il y a travail, c'est oublier qu'il y a exploitation. Dans le Larousse, travailler, c'est « faire un effort soutenu pour obtenir un résultat ». Côté sexe, on attend de plein de genTEs (en particulier de femmes, mais pas que) qu'illes effectuent cet effort soutenu bénévolement, et qu'illes aiment ça.
Attention, je ne dis pas qu'une femme ne peut pas aimer satisfaire sexuellement son/sa partenaire. On peut aussi vachement aimer repasser des chemises, changer des couches, descendre des poubelles. Ou nettoyer, ou aller au boulot, ou réparer la voiture du/de la voisinE, ou cuisiner des super plats. Vraiment, je suis certaine qu'on peut aimer tout ça.
Mais ça reste du travail. Quand tu t'occupes à satisfaire sexuellement ton/ta partenaire, que ça te dégoûte ou que ça t'excite à mort, ça reste un travail. Même quand la satisfaction de ton/ta partenaire passe par la vue de ton orgasme, ou de ton plaisir sexuel.
On peut aimer ça, on peut même adorer ça, qu'on soit payéE pour ou non. Être dans une situation où on ne sait plus qui travaille pour qui, ou il y a une satisfaction mutuelle et simultanée. Mais le travail, par définition, c'est pas « truc qui ne te fait pas plaisir ». Ce n'est pas non plus « truc qui te fait plaisir ».
Alors oui, le sexe, c'est un travail. Que tu sois payéE pour, ou non. Un travail qui peut être vraiment super agréable et épanouissant, ou qui parfois ressemble pas mal à une corvée. Un travail qui, lorsqu'on n'écoute pas le consentement de la personne en face, lorsqu'on considère qu'ille nous « doit » ce rapport sexuel, devient une violence, devient du viol. Un travail qui peut, à l'occasion, ne pas être particulièrement chouette, mais pas particulièrement pénible non plus. Et qui, lorsqu’il est consenti et désiré, peut apporter énormément de satisfaction et de bien-être. Que tu sois payéE pour, ou pas…
Tu aimes ça ? Super. Profite. Jouis à n'en plus finir, prend ton pied, éclate toi.
Tu n'aimes pas ça ? Super aussi. Il y tellement d'autres choses cool à faire dans la vie que baiser. On se prends pas trop la tête de ne pas aimer skier, faire des sushis, dessiner ou faire du macramé. Pourquoi on se prendrait la tête parce qu'on n'a pas envie de sexer ?
Quand je dis que tu es unE travailleurSE du sexe qui bosse gratos, c'est pas une insulte. C'est parce que, sérieux, t'es pas obligéE. Toi, femme, homme, ou qui que ce soit d'autre, tu n'es pas obligéE de satisfaire sexuellement ton/ta partenaire. Tu n'es pas obligéE d'aimer ça. Tu n'es pas obligéE de le faire, encore moins bénévolement.
Alors au lieu de se tirer dans les pattes, de se demander si les putes, elles aiment vraiment ça ou pas, que c'est quand même pas très moral de payer ou de se faire payer pour du sexe, on pourrait travailler ensemble à ne plus jamais être obligéEs de travailler pour quelqu'un d'autre. Surtout sexuellement.
Finalement, on est touTEs plutôt d'accord là dessus…. Le travail sexuel, ça devrait pouvoir être un choix, dans la fréquence et la manière de le faire, pas une activité imposée par la pression sociale, le devoir conjugal, ou le besoin financier.
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Sur ce blog:
- Le consentement peut-il être vraiment libre?
- Les putes sont des victimes d'inceste (et c'est mal)
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L'avis des autres:
- La prostitution est-elle un métier? (Salomée, Mélange Instable)
- Le travail du sexe contre le travail (Morgane Merteuil, Période)
- Réflexions sur le consentement et le désir dans la prostitution (Polyvalence)
- Les femmes, leurs désirs, leur plaisir et leur orgasme (Antisexisme)
- Pourquoi je ne suis pas pro-sexe (Lauren Plume, Les Questions Composent)
- Paola Tabet : La grande arnaque : Sexualité des femmes et échange économico-sexuel (Valérie, Crêpe Georgette)
En anglais:
- Every woman is a porn actress - Thoughts on sex and patriarchy (Lucie Blush)
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Références: