"Moi, ça va": Le monde est injuste et les autres sont partout
Publié le 27 Septembre 2015
Toi, ça va. Y'a pas à se plaindre. T'as eu de la chance. T'as un toit au-dessus la tête, de quoi bouffer. Tu es plutôt en bonne santé. Parfois tu tombes malade, mais c'est jamais grave, c'est des maladies qu'on peut soigner. T'as pas le cancer, t'as pas le sida. T'as tout ton corps qui fonctionne bien. T'as de la chance, toi, ça va.
Peut-être que t'as des amis, des parentEs qui t'aiment. Illes t'ont pas battuE, ille t'ont pas violéE. T'as pas été maltraitéE. Rien ne t'es arrivé. Rien dont tu ne doive te remettre, en tous cas. Puis t'as des amiEs. Peut-être même quelqu'un qui partage ta vie. Tu finiras jamais seulE, ou alors tu peux te permettre de ne pas avoir à y penser.
T'as pas grand-chose à craindre, t'es de la bonne espèce. De la bonne couleur. Ou du bon sexe, avec le bon genre accordé. T'as la bonne sexualité. Tu sais que t'auras pas besoin de faire de coming-out, tes placards ne choquent personne, ils sont remplis de normalité.
Et puis bon, t'as toute ta tête. T'es pas dépressifVE, alcoolique ou suicidaire. La folie, tu connais pas. T'as les idées claires, toi. Personne ne pense que tu devrais vivre dans des endroits spécialisés. Toi, t'es pas mis en marge de la société. Tu dois pas prendre de médocs. Tu dois pas te faire examiner.
Ou bien t'habites dans le bon pays. Les femmes y votent, les homos qui s'y marient. C'est pas la guerre. Y'a rien à fuir. T'as jamais vu d'ouragans, et puis le nuage nucléaire, il est loin. C'est pas la centrale d'à côté qui a explosé, finalement.
T'as de quoi t'amuser. Tu sors, même des fois. Tu vas au ciné ou en boite, tu joues un peu de guitare, t'aimes bien mater quelques séries piratées. T'as peut-être deux-trois bouteilles de vin dans un carton, pas les meilleures, c'est sûr, mais pas non plus les pires.
Ou alors tu pars en vacances, découvrir le monde, peut-être dans des hôtels ou alors en sac-à-dos. Tu fais de ton voyage une aventure. Tu peux te dire que c'est beau, et que jamais tu voudrais y vivre. Puis après tu peux rentrer, acheter des chaussures qui viennent de Loin-Là-Bas, penser que c'est triste, puis penser à autre chose.
T'as peut-être un taf, aussi, pourquoi pas. Peut-être même un qui te plaît. Des fois c'est clair que ça fait chier de se lever, des fois, mais bon, c'est sûr, tu vas pas te plaindre. Au moins, t'en as un. Dans cette société, tu te débrouilles même plutôt bien.
Ou alors t'es le fruit de l'accouplement des bonnes personnes, t'as les bons gênes. T'es beauLLE, y'a pas à dire. Pas trop mal foutuE, en tous cas. Ou t'as un compte en banque solide. La garantie que tu finiras pas dans la rue, comme un ticket de loto gagnant compris dans l'héritage. A moins d'une catastrophe, bien sûr, on n'est jamais trop prudentE. Alors tu peux te payer le droit de pas te faire voler. Des alarmes. Des caméras. Des armes, pourquoi pas. T'as le droit de choisir les genTEs que tu vas rencontrer.
Donc oui, ça va. En tous cas, ya pas à se plaindre.
En tous cas, les autres ont l'air d'aller moins bien. Tu sais ? Celleux à qui t'aimes te comparer quand tu dis que toi, ça va. TouTEs celleux que t'as jamais vu pour de vrai, ben oui…. Pas dans tes amiEs. Pas à la maison. Mais à la télé, dans les journaux, sur internet. Dans la rue, parfois, comme ce clodo, oui oui, celui-là même que tu viens d'éviter alors qu'il est même pas venu vers toi. T'as accéléré le pas, t'as tourné la tête. T'as fait semblant qu'il existait pas. La misère et la violence ne sont supportables que derrière un écran, n'est-ce pas ?
Alors tu te documentes, tu regardes un peu. Tu te dis, ohla. Ça a l'air dur là-bas, dans ce monde parallèle que je ne connais pas. La violence, tu connais pas. En tous cas pas la vraie, pas celle des journaux. Ça te paraît vraiment cruel mais aussi un peu vague, genre ça peut pas exister. Clairement, tu trouves pas ça juste. Mais quand tu regardes, tu te dis que, ça va, t'as pas à te plaindre. T'as eu de la chance. T'en tires plutôt bien. Alors tu tournes la tête, t'accélère le pas. Tu regardes plus les vidéos de poussins broyés, de mecs qui se font buter. Tu veux pas connaître cellui qui a perdu la loterie, toi, qui as gagné.
Qu'est-ce qui te fait si peur ? Ce monde parallèle, bourré de malchanceuxSES. Ça a l'air horrible. Non, vraiment, toi, tu pourrais pas. Elleux illes doivent être habituéEs, mais toi, non, tu tiendrais pas le choc. T'en crèverais de honte. T'en crèverais tout court. Ou tu préférerais en crever.
Mais là, devant toi, illes sont là. Tu peux pas t’empêcher de les voir, parfois, les autres. Illes sont partout, c'est pour ça.
Et d'un coup tu te dis que la chance tourne, parfois. Tu commences à avoir des doutes. Tu commences à faire les comptes, une liste mentale, comme si t'allais partir sur une île déserte. Qu'est-ce que je prendrais ? Qu'est-ce que je laisserais ? De quoi est-ce que je peux vraiment pas me passer ? Je préférerais être aveugle ou sourdE ? Malade ou traumatiséE ? Vivre une sécheresse ou une guerre ? Tu touches du bois, beaucoup. Et tu prends peur que quand tu seras vieuxLLE, tu vas basculer de l'autre côté.
Parce que, tu te dis, ça peut changer. Et si je basculais de l'autre côté ? Si je devenais, moi, le contrepoids d'autres gens qui vont bien ? Ça te paraît vraiment invivable. Alors tu veux te rassurer, allez, mais non, ça va jamais arriver.
A toi, ça arrivera pas, c'est sûr, t'es assuré. Puis finalement, je veux pas te jeter des fleurs, mais ça a été dur, c'est vrai, pour en arriver là. Ça repose pas sur rien. T'as dû sacrifier des trucs, faire des concessions. T'as bien bossé à l'école. T'as écrit un joli CV, avec une photo sympa. Parce que tu sais que ta tête, ça aidera. Mais quand même, ton CV était joli.
Tu fais gaffe à ton couple. T'es fidèle. Tu fais les choses bien. Dîner, chandelles, sexe et piment. Il devrait rien t'arriver, t'en es même sûrE, parce que hier, son portable, tu l'as fouillé.
T'es poli, t'es sympa. Tu dis bonjour au revoir s'il vous plait merci. Tu mets pas les coudes sur la table. Tu te sers jamais en premier. Puis en voiture, tu roules bien, tu grilles pas les priorités. Alors tu klaxonnes celleux qui le font, non mais ho. Tu veux pas risquer l'accident. Ta ceinture est attachée correctement.
Tu manges tes 5 fruits et légumes, tu fais du sport, tu dors bien. T'as un planning réglé que t'arrives jamais à respecter. Fait chier. Je devais nettoyer, aujourd'hui, j'ai oublié. J'ai pas perdu ces deux kilos. Au boulot, j'ai encore merdé.
T'as envie de croire qu'il y a des règles, et qu'il suffit de les suivre. Faire les choses bien, tu sais, des principes. Après le reste suivra, vraiment, tout ira bien.
Tu te dis peut-être y'a un truc pour pas basculer. Faire bien comme il faut. Faudrait pas finir en prison. Même si c'est pas toi qu'ils arrêteront en premier. C'est vrai que si t'es placéE près de la sortie de secours, t'as plus de chances de t'en tirer, mais t'as envie de croire qu'en suivant les lumières au sol tout le monde peut s'en tirer.
Il suffit de faire comme tout le monde, finalement.
Et toi, tu fais comme toutE le monde alors les originauxLES, ça te fait chier. T'as vu ce qu'il porte ? T'as vu comment elle est maquilée ? Pouvaient pas faire comme tout le monde ? Déjà qu'elle a choisi d'être gouine, c'est pas une raison pour le montrer. Et lui qui a choisi d'être noir faudrait qu'il arrête de porter des trucs colorés. Un costard plutôt. Faut jouer le jeu, faut s'adapter.
Les règles sont les mêmes pour touTEs. Donc les autres font pas comme il faut. Illes ont pas assez joué le jeu. Illes ont perdu, voilà. Ok, de la chance, t'en as, mais la chance, ça se crée. Allez, toi-même t'as remarqué que dans ton raisonnement, il y a un truc qui a cloché.
Hé, excuse-moi, je voulais pas t'énerver. Je sais, ta place, tu la mérites. Je sais, t'as fait les choses comme il faut, toi, vraiment, t'es pas unE ratéE. Comme je t'ai dit, t'as bien suivi les règles, vraiment, et t'as bien travaillé.
Mais peut-être que tu veux pas que ça change. En tous cas t'en as peur, dans le fond, un tout petit peu. Peur de passer dans le camps des ratéEs, peur de crever sur le trottoir, ou d'y finir (la honte).
Du coup, ta place, tu l'affirmes. Tu vérifie que t'es du bon côté. Alors tu t'assieds dans le tram, jambes écartées. Ya une vieille, debout, qui te regarde. Et toi, tu la regardes elle te regarde. Tu la regardes elle baisse les yeux. Elle sait qu'elle a perdu d'avance, et que toi t'as gagné. Pan ! Je serai pas unE dominéE.
Finalement, c'est un jeu, tu te dis. Tu rentres dans une boutique dans un pays étranger, tu tombes sur un t-shirt. Tu marchandes. Tu te laisseras pas faire. Tu fais semblant de partir, puis finalement tu l'achètes pour un cinquième du prix, fierÈRE de toi. Tu ris. En fait, ce t-shirt, tu t'en foutais un peu, finalement. C'était juste pour vérifier. T'as de nouveau gagné.
Puis ya une meuf qui te fait chier. Tu fais courir une rumeur pour qu'elle se fasse détester. Elle a perdu, t'as gagné. Elle avait qu'à pas être si salope. Elle avait qu'à faire comme tout le monde. Elle avait qu'à pas trop coucher.
Tu vas montrer que c'est toi qui gagne, à tous les coups. Que tu te laisses pas marcher dessus. Ta place, vraiment, t'y es pas là par hasard, tu l'as méritée. Elle t'es pas tombée du ciel. T'y peux rien si ya des ratéEs, si yen a qui suivent pas les règles. Toi, en tous cas, t'es toujours unE winnerUSE, faut quand même se l'avouer.
Dans le fond, tu sais qu'au Scrabble, tes points compteront toujours triple. Mais tu te dis :
Le monde il est comme ça. Le monde il est pas juste.
Parce que la chance, ça se crée, tu te dis. Et la malchance des autres aussi.
Au fond de toi, tu sais que si t'étais en bas, tu voudrais être en haut. Que tu t'en voudrais, que tu tu te détesterais, même. Sans même ouvrir la bouche, les autres te crient « connard », de tous les côtés. T'as eu trop de chance, tu te dis, et t'as trop bien bossé. C'est sûr, illes veulent tout te piquer.
Tu deviens parano et ça se justifie. L'autre jour, t'as oublié ton Iphone, mais en fait peut-être que quelqu'un l'a volé. T'es sûr, même, et d'ailleurs tu l'as vuE. Tu sais à quoi ille ressemble. Tu sais de qui te méfier, d'où vient le danger. Tu sais qui pourrait te faire changer de côté. Toujours les mêmes. J'voudrais pas dire, mais, c'est quand même un peu toujours les mêmes.
Parce que t'as remarqué, toi aussi. Toujours les mêmes qui mendient, toujours les mêmes qui font les putes. TouTEs celleux qui nettoient tes merdes et qui font des trucs pour toi. Tu sais à quoi illes ressembles. Mais au fond de toi, tu t'es quand même demandéE. Comment ça se fait que c'est toujours un peu les mêmes ?
Bon, c'est comme ça, tu te dis. Les femmes aiment faire le ménage, les arabes aiment balayer. Si ils avaient voulu être présidentE, illes auraient bossé. Ça doit être dans leur code génétique, tu te dis. Illes sont prédisposéEs.
Tu vois ça comme une grosse fourmilière, avec chacun sa fonction. OuvrierÈREs, rois/reines, couveuses, reproducteurs, esclaves. Et tousTES les autres, en marge, qui crèvent sur le côté. On dirait presque que chacun a sa place.
En fait non, on dirait pas. D'ailleurs t'arrête pas de te demander. Tu fais la file pour payer, la caissière prend du temps, tu te dis putain qu'est-ce qu'elle fout là. T'allumes la télé, tu vois des hommes politiques, tu les entends parler, tu te dis putain qu'est-ce qu'ils foutent là. Tu marches t'es presséE. Ya trop de genTEs, illes font chier. En revenant dans le tram, ya un gamin qui chialait, sérieux, ça se fait pas. Putain, mais ils foutent quoi là ?
Tu t'énerves, non mais ho, dans la distribution des rôles, ya eu un problème. Que des incapables, qui remplissent pas leur tâche assignée. Ça, ça peut vraiment te faire enrager.
Du coup tu t'énerve, tu gueules, tu fais entendre ta voix. Nan mais tu peux pas t'activer ? Fais quelque chose, là, ya des gens qui attendent ! Pauvre merde, tu fais chier. Après tu sors du magasin, tu monte en voiture et parce que tout ça te fait chier, tu grilles la priorité. On te klaxone, t'ouvre la fenêtre, tu gueules « enculé ! ». Ille a pas vu que t'étais énervéE ?
Puis tu rentres chez toi, tu dis, oh non, j'ai toujours pas nettoyé. J'ai pas perdu mes deux kilos. Je me suis encore fait flasher. Pauvre merde, tu fais chier.
Mais tu te reprends. Faut se reprendre, tu sais. T'es unE bosseurSE toi, ça va aller. On va faire aller. Finalement, tes problèmes, ils valent rien, comparés à ceux des autres, que tu connais si bien.
Ben si, tu sais ? T'as lu des articles Vice, t'as vu des docus Arte. Du coup, tu connais, et même t'aimes bien les expliquer, comment c'est les vrais problèmes. Comment c'est un vrai viol, une vraie agression. Comment c'est, être dans la vraie merde. Comment c'est quand c'est la guerre, ou que t'as rien à bouffer. Les vrais problèmes en fait, tu penses que tu les connais bien, et que c'est surtout pas les tiens. Alors, t'aimes bien en parler. Des fois, tu sais même ce qu'il faudrait faire pour les régler, ces vrais problèmes. Plus de règles. Plus de sécurité.
Du coup, t'expliques aux autres, vu que toi tu sais. Que ce qu'illes ont vécu c'est pas un VRAI abus. Une VRAIE agression. Du VRAI harcèlement. Tout ce qui est vrai, en fait, pour toi, c'est tout ce que tu vois pas.
En tous cas, toi, ça va. Ta vie, t'en profites. T'as la chance de pouvoir croire que le Paradis c'est maintenant, et que si t'as pas de deuxième chance, ben tant pis. Alors, ta chance, là, il faut pas la louper. Faut tout donner. Faut être heureuxSE, faut s'amuser, t'as pas de problèmes, faut profiter.
Mais bon, des fois, t'arrives pas. Tes faux problèmes, là, tes problèmes de merde, ben ils te font quand même chialer. Comme une fille, même. ToutE chanceuxSE que t'es, toi ceTTE putain de privilégiéE, tu pleures sur tes problèmes de merde qui valent rien. T'es qu'une mauviette, un pd. Même pas capable de t'affirmer. Une sale pute. Un enculé. Un clodo, un balayeur, toi, tu sers à rien. Tu finiras caissière ou à faire le trottoir. T'es débile, t'as trois ans ? T'es con ou quoi ? Mongole, va. Putain, tu fais chier. Salope, mal baisée. Vieille peau, t'es taréE ? T'es pas normale. Gros tas. Vraiment, tu vaux rien. Tu sers à rien, même. Tu sers pas plus qu'unE marginalE, unE excluE de la fourmilière, non, vraiment, dis moi, mais qu'est-ce que tu fous là ?
Parce que d'un coup tout ce que tu reproches aux autres, bah, tu te le cries à toi. Ta place, finalement, tu la mérites pas. Tu mérites que d'être rejetéE, non, c'est ça ? Tu flippes, t'as peur, tu veux pas finir comme elleux, marginaliséE.
Mais, ça va, ya pas à se plaindre, t'as eu de la chance, les vrais problèmes, tu connais pas.
Quand tes parents qui t'aiment tellement te font sentir que tu vaux rien, quand tu dors plus la nuit et que c'est dur, la journée. Quand t'en peux plus parce que tu t'es fait larguéE. Quand tu sais pas ce que tu vas foutre de ta vie. Quand t'as même pas décroché le stage non payé. Quand tu penses à te suicider. Sérieux, non mais, de quoi tu te plains ? Les vrais problèmes, c'est pas ça.
Tu vas chez le médecin, tu dis que t'es malade, t'as tout pour être heureuxSE et pourtant t'arrives pas. Puis tu vas en pharmacie, tu vas chercher des pilules qui vont tout effacer, faire comme si tout ça n'existait pas. Tu repasses devant le clodo, tu baisses les yeux, t'accélères le pas, tu fais comme si il n'existait pas. Tu te dis faut que je sorte que je pense à autre chose, tu sors tu te bourre la gueule et tu te réveilles puant le vomi tu penses toujours à la même chose et tu te rappelles de rien, pauvre merde, fait chier.
T'arrive même pas à être heureuxSE, tu mérites pas d'être là. Ta place, dis moi, tu l'aurais pas carrément volée ?
Mais ça, c'est horrible d'y penser. Si t'étais unE imposteurE, unE mal placéE ? Finalement, qu'est-ce que tu fous là ? T'as un boulot, ok, mais t'as vu la gueule qu'il a ? Puis ton couple part en couille. Et hier, t'as oublié de remercier pour le dîner. T'as encore fait des gaffes, t'as encore pas assuré. Attention ou tu vas finir balayeur. Tu vas descendre en niveau. Changer d'alvéole.
T'as peur, non, tu mérites pas ça. Ou peut-être que tu le mérites, finalement. Que tu vaux rien. Que tout ça, c'est dû à la chance, t'y a pensé ? Non, tu veux pas.
Ben oui. Normal que t'aies l'impression que les autres te crient « connard ! » Pour le coup, tu le serais pas un petit peu ? ChanceuxSE, c'est pas une insulte, tu sais. ChanceuxSE qui garde les dés truqués, par contre, ouais, ça fait un peu connard. Mais ça fait peur, hein, l'autre côté ?
Tu le sais, parce qu'en fait, t'y as été. Je sais que tu t'en rappelles, comme de cette fois-là aussi. Cette fois où c'était vraiment pas juste. Qu'on te traitait comme si tu valais rien. Qu'il n'y avait aucun échappatoire. Quand t'aurais bien voulu qu'une main se tende, t'aide, parce qu'illes avaient touTEs bien vu, là. Que personne t'a défendu. Que t'as été humiliéE alors que t'avais rien fait. Rien que parce que t'as été enfantE, je sais que tu te rappelles de cette fois-là. Je sais que tu te rappelles comment étaient les adultes, avant que t'en deviennes unE.
Alors tu vois.
Toi, ça va, tu te dis. D'accord. Tu peux garder tes oeillères, mais je vais te raconter un truc. Tu te souviens de ce gars ? Mais oui ce gars-là. On s'en souvient touTEs. En tous cas moi oui. C'était celui du fond de la classe, qui se faisait taper à la récré, tu sais ?
Ben là, il se faisait encore taper. Et moi je me suis dit bah c'est plus trop rigolo là il a assez morflé. Je me suis dit quelqu'un pourrait l'aider. Je me suis dit ça va il a rien fait de mal.
Puis j'ai regardé autour de moi. Puis je me suis rappelée la fourmilière. Je me suis dit que finalement, j'étais plutôt bien placée. Et que du coup, lui aussi, il était bien là. Que ça allait, il se faisait pas non plus buter. C'était pas un vrai problème. Peut-être même qu'il l'avait mérité.
Puis surtout, j'ai eu peur de me retrouver au milieu du cercle. De me faire taper. De basculer. Et que personne m'aide.
Alors j'ai rien dit. Puis j'ai rigolé. Je crois qu'un moment je suis même partie voir ailleurs, faire comme si ça n'existait pas.
Tu te compares aux autres, mais tu veux surtout pas faire les liens, dis moi. T'as peur de basculer du mauvais côté, alors que tu en maintiens un.
Tu veux pas lâcher ton contrepoids. Admettre que t'es pas si différentE que ça. Quand les voir te gêne, c'est ton reflet que t'évites. T'aimes prétendre qu'il existe un monde horrible qui n'a rien à voir avec le tien pour justifier ta place, dominer les autres et effacer tes problèmes.
Ce monde horrible que tu imagines, en fait, ce n'est que le reflet de tes peurs et le résultat de ton rejet. Si il y a un mauvais côté, c'est parce que tu l'isoles du tiens.
T'aimes bien avoir un contrepoids, te dire que toi, ça va. Oublier la gêne, la peur, le mépris, la colère, la honte, qu'il y a parfois dans ces mots-là.
Tu veux pas voir que tu souffres du même mal que celui que tu sèmes. Que tout ce que t'imposes aux autres, tu te l'imposes à toi-même.
Ce que t'as envie d'ignorer, c'est toute la merde, là, celle-là même, oui oui, celle que t'as pas envie de fouiller. Alors tu continues d'opprimer.
Bienvenue dans mon monde. Tu es privilégiéE.
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